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Commentary

Ce que la Réforme protestante nous apprend sur les révolutions techniques

GENEVE – Il y aura 500 ans cette semaine, un prêtre peu connu, enseignant de théologie à l’université, entreprenait une action remarquable pour son époque : il a cloué une pétition sur une porte, appelant à un débat universitaire sur le commerce des “indulgences” par l’église catholique – la promesse de passer moins de temps au purgatoire en échange d’une somme d’argent.


Il est largement reconnu aujourd’hui que les “95 thèses” de Luther qu’il avait affiché sur la porte de l’église du château de Wittenberg en Allemagne (il en avait simultanément adressé une copie à son supérieur, la cardinal Albrecht von Brandenburg) ont déclanché la Réforme protestante. En moins d’un an Luther est devenu l’un des personnages les plus célèbres d’Europe. Ses idées ont remis en question non seulement une coutume de l’Eglise et l’autorité du pape, mais aussi la relation de l’Homme avec Dieu. Elles ont remodelé le pouvoir et l’identité de l’Eglise, au point que ses effets se font sentir encore aujourd’hui.

Pourquoi les idées de Luther ont-elles pris une telle importance ? Depuis des siècles les appels à réformer l’Eglise se succédaient. Ainsi que le dit l’historien Diarmaid MacCulloch dans son livre A History of Christianity: The First Three Thousand Years [Une Histoire du christianisme : les trois premiers millénaires], les deux siècles qui ont précédé Luther ont été marqués par une contestation quasi permanente de la suprématie du pape en matière de philosophie, de théologie et de politique. Comment se fait-il que les préoccupations d’un théologien de second ordre en Saxe ont conduit à une révolte religieuse et politique d’une telle ampleur ?

Les techniques émergentes de l’époque ont joué un rôle essentiel. Quelques décennies avant que Luther ne se lance dans sa contestation, un forgeron allemand du nom de Johannes Gutenberg avait inventé un nouveau système de caractères mobiles qui permettait de reproduire des mots écrits beaucoup plus rapidement et pour moins cher qu’en utilisant des supports en bois plus fragiles.

L’invention de la presse d’imprimerie a été quelque chose de révolutionnaire, car son développement exponentiel a permis la dissémination des idées à grande échelle. En 1455, la “Bible de Gutenberg” était imprimée au rythme d’environ 200 pages par jour, bien plus que la trentaine de pages journalière que pouvaient fournir des scribes bien entraînés. A l’époque de Luther, le rythme d’impression a atteint 1500 pages par jour. Entre 1450 et 1500, l’amélioration des techniques d’imprimerie et la chute des coûts se sont traduites par une hausse spectaculaire de l’accès à l’écrit, bien qu’à en croire les estimations, seulement 6% de la population savait lire et écrire.

Luther a vite compris le potentiel de l’imprimerie pour diffuser son message. Il a choisi pour cela une nouvelle forme d’expression écrite, courte et claire, en allemand, la langue du peuple. Sa traduction de la Bible du grec et de l’hébreu en allemand est sans doute sa contribution la plus durable en terme de diffusion d’idées. Il était déterminé à parler “comme on le fait sur les marchés”, et au cours des décennies suivantes, plus 100 000 copies de sa Bible ont été imprimées à Wittenberg, comparées à peine 180 copies de la Bible en latin de Gutenberg.

Produisant des textes courts et percutants, la nouvelle technique d’impression a transformé radicalement l’imprimerie. Lors de la décennie qui a précédé les thèses de Luther, les imprimeurs de Wittenberg ne publiaient en moyenne que huit livres par an, tous en latin, destinés aux universitaires du lieu. Mais entre 1517 et 1546, année de la mort de Luther, selon l’historien britannique Andrew Pettegree ils ont imprimés en moyenne 91 livres par an et tirés un total de 3 millions d’exemplaires.

Pettegree a calculé que Luther a écrit un tiers des livres publiés durant cette période, et le rythme des publications a continué à croître après lui. Durant 25 ans il a publié un écrit tous les quinze jours.

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Du fait de la presse à imprimer, la controverse religieuse entretenue par Luther s’est très largement répandue, encourageant la révolte contre l’Eglise. Jared Rubin, un historien spécialisé en Histoire économique, a montré qu’avant 1500, la simple présence d’une presse à imprimer dans une ville augmentait la probabilité qu’elle devienne protestante avant 1530. Autrement dit, plus proche on se trouvait d’une presse à imprimer, plus grande était la probabilité que l’on considère d’un autre œil sa relation à l’Eglise – l’institution la plus puissante de cette époque, avec Dieu.

On peut tirer au moins deux leçons de ce bouleversement technologique. Première leçon, ceux qui pourraient être les perdants de ce bouleversement voudront peut-être défendre le statu quo, ainsi que l’a fait le Concile de Trente en 1546, en interdisant l’impression et la vente de toute autre édition de la Bible que la Vulgate écrite en latin, si elle n’était pas approuvée par l’Eglise. Aussi, dans le contexte actuel de la “Quatrième révolution industrielle” (que Klaus Schwab du Forum économique mondial définit comme la fusion de techniques qui associent la physique, l’informatique et la biologie), peut-on se demander ce que sera la “presse à imprimer” de notre époque.

La deuxième leçon, la plus marquante de l’appel de Luther à un débat d’érudits et de son recours à la technique pour diffuser ses idées est qu’il a échoué ! Au lieu de discussions publiques sur l’évolution de l’autorité de l’Eglise, la Réforme protestante s’est transformée en une bataille violente sur le terrain de la communication, fracturant non seulement une institution religieuse, mais toute une région. Pire encore, elle a servi à justifier des siècles d’atrocités et provoqué la Guerre de Trente Ans, le conflit religieux le plus meurtrier de l’Histoire européenne.

Alors comment s’assurer que les nouvelles techniques favorisent un débat constructif ? Le monde fourmille toujours d’hérésies qui menacent nos identités et nos institutions ; la difficulté consiste à ne pas les considérer comme des idées à supprimer par la violence, mais comme l’occasion de comprendre où, pourquoi et comment les institutions excluent des gens ou ne délivrent pas les promesses attendues.

Appeler un engagement plus constructif peut paraître facile, naïf, ou même moralement discutable. Mais l’alternative ne se limite pas au creusement des divisions et à l’exclusion de communautés, ce qui serait une déshumanisation à grande échelle – une tendance que les techniques actuelles paraissent encourager.

La Quatrième révolution industrielle en cours devrait être l’occasion de modifier notre relation à la technique afin qu’elle améliore ce qu’il y a de meilleur en l’Homme. Pour cela, il faut appréhender les relations entre identité, pouvoir et technique mieux que cela n’a été fait à l’époque de Luther.

Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz

Nicholas Davis est le responsable Société et Innovation du Forum économique mondial.

par Nicholas Davis

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