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Commentary

Comment les parasites tirent les ficelles

LIVERPOOL – La science fiction a depuis longtemps envisagé la possibilité terrifiante que nous soyons dépourvus de libre-arbitre et qu’une créature peu sympathique contrôle notre cerveau ou nous transforme en zombies laborieux. Mais il se trouve que le contrôle de la pensée n’est pas qu’un classique littéraire. C’est également une méthode communément utilisée par les parasites pour avoir accès à un environnement où ils peuvent grandir, se reproduire et compléter leur cycle de vie.


Prenons par exemple le champignon Cordyceps : après avoir infecté des fourmis des forêts tropicales, il interfère avec leur comportement en les incitant à grimper au sommet des arbres et à s’accrocher à une feuille avant de mourir. Le champignon se reproduit ensuite en faisant retomber ses spores dans le sous-bois où elles infectent d’autres fourmis. De même, un virus qui infecte les chenilles du bombyx disparate les empêche de redescendre du sommet des arbres selon leur cycle habituel, et elles en meurent. Le virus se multiplie alors et fait pleuvoir des particules virales sur le sol de la forêt.

Ces parasites incitent leurs hôtes à rechercher une élévation qui accroît la dispersion de leurs spores ou particules infectieuses. Mais d’autres espèces sont capables de provoquer des comportements autrement plus complexes. Les nématomorphes, par exemple, sont des vers qui infectent les grillons et les poussent à se suicider en se jetant dans un plan d’eau, que ce soit une flaque ou une piscine. Alors que le grillon se noie, le vers s’en échappe et complète son cycle biologique.

Et les capacités de contrôle mental des parasites ne se limitent pas aux invertébrés. Prenons le virus de la rage qui se transmet aux chiens, aux humains et autres mammifères par la morsure. Pour optimiser ses chances de transmission à un nouvel hôte, le virus altère le cerveau de son hôte et le transforme en une créature furieuse et baveuse qui mordra tout ce qu’elle croisera.

Une autre espèce capable d’influer sur le comportement humain est le parasite protozoaire Toxoplasma gondii, l’agent de la toxoplasmose. T. gondii est extrêmement répandu, avec une prévalence chez l’humain allant de 15 à 85 pour cent selon les pays, en fonction du climat et du régime alimentaire. Alors que le taux d’infection est proche de 80 pour cent en France et au Brésil, il n’est que de 7 pour cent au Japon.

T. gondii peut infecter les êtres humains qui consomment de la viande contaminée d’animaux d’élevage, comme le porc, le bœuf et l’agneau. Et sans surprise, les plats à base de viande crue sont plus répandus dans les cuisines française et brésilienne. Mais l’hôte définitif de T. gondii sont les félidés, les chats en particulier, au moyen des rats dont il modifie le comportement. Plus précisément, le parasite accroît la probabilité que le rat hôte soit mangé par un chat en réduisant l’aversion naturelle du rat à la lumière (photophobie) et à l’urine de chat.

Les êtres humains peuvent également manifester une altération inquiétante de leur comportement en étant infectés par le T. gondii. Les hommes contaminés peuvent devenir jaloux, méfiants d’autrui, irrespectueux des règles établies et plus enclins à prendre des risques ; ils sont par conséquence trois fois plus susceptibles d’être impliqués dans un accident de la route. De leur côté, les femmes infectées peuvent développer des tendances suicidaires ou au contraire devenir plus chaleureuses, peu sûres d’elle et moralisatrices.

Il semble en outre qu’une infection par le T. gondii joue un rôle dans les troubles mentaux. Plus de 40 études montrent que les personnes atteintes de schizophrénie ont une séroprévalence en anticorps (Ac) anti-T. gondii, montrant des signes d’une infection antérieure. Et le parasite a également été associé à la démence, à l’autisme, à la maladie de Parkinson et au cancer du cerveau.

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Comment ces parasites maîtres de la manipulation contrôlent-ils les cerveaux d’autant d’espèces d’invertébrés et de vertébrés ? L’une des hypothèses est qu’ils modifient les niveaux des neurotransmetteurs dans le cerveau, dont la dopamine et la sérotonine. Les neurotransmetteurs sont des molécules anciennes conservées au fil de l’évolution de l’espèce humaine à travers les âges et leur influence sur le comportement est aujourd’hui assez bien connue.

Grâce à la génomique et à la protéomique, nous commençons à comprendre le rôle que jouent les neurotransmetteurs pour permettre aux parasites de manipuler le comportement d’une espèce hôte. Lorsque les chercheurs ont analysé le génome de Toxoplasma gondii, ils ont trouvé la L-DOPA, le précurseur de la synthèse de la dopamine, suggérant que ce parasite serait capable de synthétiser et de libérer directement de la dopamine dans le cerveau de l’espèce hôte. Cela expliquerait pourquoi les rats infectés par T. gondii ont des taux plus élevés de dopamine et la raison pour laquelle les inhibiteurs de la recapture de la dopamine font disparaître le comportement induit par le parasite.

Les parasites hôtes des invertébrés sont aussi capables de manipuler les niveaux des neurotransmetteurs. La guêpe émeraude, par exemple, injecte un cocktail venimeux qui contient le neurotransmetteur octopamine dans le cerveau de la blatte qui est temporairement paralysée, ce qui permet à la guêpe de la tirer vers son terrier et de pondre un œuf qui se nourrira de la blatte.

Et comme T. gondii chez le rat, les acanthocéphales (ou vers à tête épineuse) suppriment la photophobie naturelle de leurs hôtes intermédiaires, des crustacés d’eau douce. Lorsque ces crustacés remontent à la surface, ils sont mangés par un canard et à ce stade, le vers complète son cycle vital.

Les chercheurs ont trouvé qu’en injectant de la sérotonine à des amphipodes non infectés, ils passent plus de temps à la surface de l’eau, comme s’ils étaient infectés par un parasite. Et l’analyse des protéines de sauterelles infectées par des nématomorphes montre une modification des protéines impliquées dans la libération des neurotransmetteurs.

Nous commençons seulement à comprendre comment ces différents parasites marionnettistes manipulent le comportement de leurs hôtes vertébrés et invertébrés. Mais nous savons déjà que tirer les ficelles des neurotransmetteurs est une méthode qui leur est commune. Si de nouvelles recherches confirment certains des scénarios apparemment les plus fous de la science fiction, ce ne serait pas la première fois.Robbie Rae est maître de conférence en génétique à l’université John Moores de Liverpool, Royaume-Uni.

Par Robbie Rae

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