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Commentary

Construire l’économie de la connaissance en Afrique

YAOUNDÉ – Les économistes du développement diffèrent souvent entre eux, mais ils sont d’accord sur ce point : l’économie de la connaissance sera la base du progrès de toutes les nations au XXIème siècle. Pourtant alors que l’Extrême-Orient et d’autres régions font des bénéfices substantiels en établissant une économie de la connaissance, ce n’est toujours pas le cas de l’Afrique.

Il n’est pas trop tard pour que cela change. Pour rendre cela possible, il faudra initier un changement depuis les stratégies « dures » comme l’ajustement structural, vers des stratégies « douces » – en particulier, le développement des capacités humaines. Afin de mettre en œuvre de cette évolution, les dirigeants vont devoir se concentrer sur le développement des quatre piliers d’une économie de la connaissance, définis par l’Index de l’économie de la connaissance de la Banque mondiale.

Le premier pilier est celui de l’éducation. Les décisionnaires africains doivent mettre en application des mesures ambitieuses en vue d’augmenter non seulement l’inscription dans les écoles et dans les programmes de formation, mais également en vue d’améliorer la qualité et la disponibilité de tels programmes, en particulier dans les domaines techniques, tout au long de la vie des travailleurs.

La création d’opportunités d’apprentissage tout au long de la vie est l’unique manière de donner les moyens à la main-d’œuvre de s’adapter à des conditions technologiques en constante évolution. Les décisionnaires doivent donc établir des mécanismes capables de fournir une formation technique professionnelle et pratique sur le tas, soit directement, soit en créant des incitations pour les entreprises. Fournir par exemple des technologies importées avancées que les entreprises ne pourraient pas se permettre elles-mêmes pourrait être une incitation puissante, afin qu’elles contribuent à améliorer les qualifications de la main-d’œuvre locale.

Une façon d’améliorer la qualité du système éducatif consiste à encourager davantage d’Africains pourvus d’une éducation de haut niveau à contribuer à la création de connaissances, en dirigeant et en publiant des recherches scientifiques et techniques. Des promotions universitaires du statut doctoral vers le professorat devraient s’appuyer sur de telles publications, au lieu d’une simple expérience dans l’enseignement ou, dans le pire des cas, sur des accointances politiques.

L’excellence universitaire est essentielle au deuxième pilier d’une économie de la connaissance : l’innovation. Pour l’instant, les économies africaines peuvent tirer profit du rattrapage technologique par ingénierie inverse sur des technologies existantes et en les adaptant aux spécificités locales : une approche qui a bien fonctionné pour les pays d’Extrême-Orient. Non contents de s’assurer que les gens reçoivent l’éducation nécessaire, les gouvernements devront créer des incitations pour encourager de telles activités, en se concentrant idéalement sur certains problèmes spécifiques, comme la sécurité alimentaire.

Mais il y a des là limites à l’imitation. Une fois que l’Afrique aura progressé sur le chemin du développement, ses économies, comme celle de la Chine actuelle, devront passer de d’imitation à l’innovation véritable. À ce point, des incitations pour des entreprises et les chercheurs devront être ajustées. Pour les petites et moyennes entreprises (PME), qui luttent souvent pour obtenir des prêts, des instituts dirigés par l’Etat pourront être utilisés pour la recherche et le développement collaboratifs.

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Dans cet effort, il faudra insister sur la technologie de l’information et de la communication : le troisième pilier d’une économie de la connaissance. Etant donné le taux de pénétration encore faible des TIC en Afrique (le continent est une des seules régions restantes du monde loin du point de saturation), il y a beaucoup de place pour une croissance rapide dans ce secteur. Avec la bonne approche, connecter les personnes par les TIC pourrait donner le pouvoir aux femmes, étendre l’accès à la santé, donner un coup de pouce à l’inclusion financière, réduire l’écart entre les zones urbaines et rurales et ouvrir de nouveaux modèles économiques, en particulier pour les PME.

Mais étendre les TIC va exiger que les dirigeants africains surmontent certaines contraintes majeures à leur accès. Avant toute chose, il faut construire l’infrastructure qui permette le déploiement des services de TIC. L’imitation et l’adaptation seront également essentielles pour cela, ainsi que des politiques de normalisation et de concurrence solides.

Le dernier pilier d’une économie de la connaissance implique des incitations et des institutions. De même que les gouvernements vont poursuivre un processus de transformation économique à long terme, les entreprises africaines vont avoir besoin de soutien pour devenir compétitives. Les subventions pour la R&D, ainsi que des incitations et des limitations budgétaires sur les entreprises étrangères sur les marchés africains, pourraient fournir aux entreprises locales l’espace nécessaire pour développer leurs capacités.

Naturellement, le consensus de Washington, le guide néo-libéral typique du développement, souligne la concurrence de marché libre, notamment la libéralisation commerciale. Mais même les pays développés qui favorisent cet ordre du jour se sont fondés sur le protectionnisme dans les premiers temps de leur industrialisation. En donnant un avantage à des entreprises et à des secteurs plus grands et plus développés, le libéralisme peut réellement nuire à une concurrence efficace.

Dans son livre Making Globalization Work, le Prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz précise que les Etats-Unis ne seraient pas à l’avant-garde de l’industrie mondiale du coton sans leurs subventions publiques. De même, les producteurs laitiers au sein de l’Union européenne reçoivent 2 dollars de subvention par jour et par vache (soit un revenu supérieur à celui de la plupart des Africains).

Mais ces économies montrent également les périls du maintien des subventions pendant une trop longue période. L’UE assigne environ la moitié de son budget aux subventions agricoles, bien que l’industrie alimentaire ne représente qu’environ 6 % de son PIB. Cela est non seulement inutile mais économiquement préjudiciable à l’Europe et également aux pays en voie de développement.

Les pays africains doivent en tirer les leçons : en construisant les économies de la connaissance, ils devront soutenir la maturation des secteurs puis mettre un terme aux mesures protectionnistes, afin d’atténuer la complaisance et de stimuler l’innovation.

Un régime institutionnel fort, crédible et capable sera essentiel dans la gestion de cette transition. Quand les crises surgissent, les gouvernements doivent disposer des outils et de la confiance nécessaire pour y faire face. Une manière de renforcer le développement institutionnel pourrait consister à investir dans des projets de développement à long terme.

Cela ne sera pas facile. Un tel processus n’est jamais facile de toute façon. Mais construire une économie basée sur la connaissance en Afrique est loin d’être impossible. Les gouvernements peuvent profiter de l’expérience d’autres pays en décidant quelles politiques adapter aux spécificités locales et quelles politiques éviter. Et surtout, ils doivent commencer dès maintenant.

Simplice A. Asongu, économiste en chef du Département de recherches de l’Institut africain de gouvernance et de développement.

Par Simplice A. Asongu

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