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Commentary

Dans les abîmes du Brexit

PARIS – J’ai un ami britannique qui ne voyage jamais sans son passeport irlandais, du moins depuis juin 2016, lorsque le Royaume-Uni a votĂ© pour quitter l’Union europĂ©enne. « Juste au cas oĂą, aime-t-il dire. On ne sait jamais ce qui peut arriver. »


Depuis le Brexit, le passeport irlandais est devenu une sorte de police d’assurance contre l’irrationalitĂ© et reprĂ©sente, au moins pour mon ami, la possibilitĂ© de conserver son identitĂ© europĂ©enne. Si les choses tournent mal Ă  Londres, raisonne-t-il, il y a toujours Dublin.

La rĂ©ponse Ă  mots couverts est devenue une approche privilĂ©giĂ©e par ceux qui cherchent Ă  donner un sens au divorce britannique avec l’UE. L’accord conclu ce mois-ci entre les nĂ©gociateurs britanniques et europĂ©ens n’a fait qu’exacerber le malaise. D’une part, cette « percĂ©e » a ouvert la voie Ă  des pourparlers sur le commerce post-Brexit, ce qui semble rendre la sĂ©paration inĂ©vitable. D’autre part, il y a une croyance selon laquelle rien n’est gravĂ© dans le marbre et que la conclusion ne viendra qu’après la rĂ©solution de nombreux problèmes Ă©pineux.

La frontière physique entre l’Irlande du Nord – qui fait partie du Royaume-Uni – et l’Irlande qui restera dans l’UE, fait partie des problèmes les plus complexes. Cette question risque de devenir l’Ă©quivalent au XXIème siècle de ce que fut la question du Schleswig-Holstein pour les diplomates europĂ©ens au XIXème siècle : un cauchemar rĂ©current.

Mais la frontière irlandaise n’est pas le seul dĂ©fi auquel est confrontĂ© le Brexit. De nombreuses questions, depuis le commerce jusqu’Ă  la politique Ă©trangère, vont Ă©galement mettre Ă  l’Ă©preuve les nĂ©gociations.

Mon ami est clairement partagĂ© entre l’espoir et la peur. Paradoxalement, son optimisme dĂ©coule de la conviction que la menace du chaos poussera les Britanniques Ă  revenir sur leur dĂ©cision, par un juste retour d’un pragmatisme anglais revigorĂ©. Un deuxième rĂ©fĂ©rendum, comme lui et d’autres aiment Ă  la croire, pourrait mĂŞme ĂŞtre Ă  l’ordre du jour.

Non content de placer leur espoir dans la puissance rĂ©visionniste du chaos, le camp du « Remain » fait le pari que les partisans du « Leave » finiront par rĂ©aliser la folie d’un Brexit « doux » et se retireront. Tout ce qui ne serait pas une sĂ©paration complète de l’UE s’apparenterait Ă  la situation dans laquelle la France s’est retrouvĂ©e après s’ĂŞtre retirĂ©e du commandement militaire de l’OTAN en 1966. Jusqu’Ă  ce que la France revienne sur cette dĂ©cision en 2009, elle est restĂ©e plus ou moins liĂ©e aux contraintes des autres membres de l’OTAN, mais elle n’avait aucun mot Ă  dire sur les dĂ©cisions politiques ou militaires.

Aujourd’hui, la Grande-Bretagne semble suivre une trajectoire similaire. Un Brexit « doux » n’apaisera pas nĂ©cessairement la douleur Ă©conomique du divorce, mais sera sans aucun doute politiquement frustrante pour les partisans et les opposants. Après avoir Ă©tĂ© invitĂ©s Ă  exprimer leur prĂ©fĂ©rence, les Ă©lecteurs pourraient conclure que tout sauf un Brexit « dur » serait illĂ©gitime et laisser le Royaume-Uni dans l’embarras.

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Le dĂ©bat sur le Brexit rĂ©vèle l’un des principaux dilemmes de la dĂ©mocratie. Que faire lorsqu’un pays est profondĂ©ment divisĂ© sur une question clĂ©, voire existentielle ?

Les rĂ©gimes autoritaires ne sont pas confrontĂ©s Ă  ce dilemme, du moins pas ouvertement. Le leadership dĂ©cide. MĂŞme si la politique des gouvernements reprĂ©sentatifs peut sembler parfois irrĂ©flĂ©chie, les « citoyens » d’un rĂ©gime illibĂ©ral soit se plient Ă  l’autoritĂ©, soit se mobilisent pour le renverser.

En Grande-Bretagne, une petite majoritĂ© a votĂ© en faveur du Brexit, en plongeant le pays dans une confusion qui ne peut que se poursuivre, indĂ©pendamment de ce qui se passera dans les nĂ©gociations avec l’UE. Ce mois-ci, une Ă©tude publiĂ©e par YouGov a rĂ©vĂ©lĂ© que les citoyens britanniques restaient aussi divisĂ©s sur le Brexit que lors du scrutin de l’annĂ©e dernière. C’est comme si le dĂ©bat s’Ă©tait simplement figĂ©.

C’est en partie parce que les points de vue sur l’intĂ©gration europĂ©enne sont liĂ©s Ă  l’Ă©ducation, au statut social, Ă  l’âge et Ă  la situation gĂ©ographique. Peu importe le talent des nĂ©gociateurs du Royaume-Uni et de l’UE, aucun compromis ne permettra de combler complètement ces lacunes. L’objectif, par consĂ©quent, ne devrait pas ĂŞtre de trouver les meilleures solutions, mais les moins mauvaises. Reste Ă  savoir Ă  quoi cela va ressembler. Mais Ă  tout le moins, le camp du « Leave » doit avoir le sentiment que ses votes ont Ă©tĂ© respectĂ©s, tandis que les supporters du « Remain » doivent ĂŞtre convaincus que le pire a Ă©tĂ© Ă©vitĂ©.

Pour l’instant, la Grande-Bretagne semble avoir acceptĂ© que les exigences de l’UE ne soient ni irrationnelles, ni inacceptables. Le Royaume-Uni paiera une prime – de près de 40 milliards de livres sterling – (53 milliards de dollars) – pour son divorce d’avec l’Europe. En retour, le Royaume-Uni aura deux ans pour dĂ©mĂŞler les nombreux fils qui lient la Grande-Bretagne au continent.

Pour ceux qui placent leur foi dans le chaos, il est difficile de voir l’aspect favorable de cette affaire. Un parti des « Bregretters » – ceux qui regrettent le Brexit et pourraient militer en faveur de son renversement – n’existe pas. Une forte personnalitĂ© politique n’a pas non plus Ă©mergĂ© pour diriger une coalition de ce genre. L’ancien Premier ministre Tony Blair aurait pu le faire plus tĂ´t dans sa carrière. Toutefois, après sa dĂ©cision dĂ©sastreuse de soutenir la guerre en Irak, son image est en lambeaux.

MalgrĂ© les progrès rĂ©cents et les engagements pris pour faire avancer les pourparlers sur le Brexit, rien n’est donc certain quant au processus, sauf peut-ĂŞtre qu’il deviendra plus chaotique au fur et Ă  mesure du compte Ă  rebours des deux ans Ă  venir. Cela risque d’ĂŞtre une mauvaise nouvelle pour la Grande-Bretagne, pour l’Europe et pour la dĂ©mocratie. LĂ  encore, comme aime Ă  le dire mon ami au passeport irlandais, on ne sait jamais ce qui peut arriver.

Dominique Moisi, conseiller principal Ă  l’Institut Montaigne de Paris. Il a publiĂ© La GĂ©opolitique des SĂ©ries ou le triomphe de la peur.

Par Dominique MoĂŻsi

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