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Commentary

Illusoire indépendance de la BCE

ATHENES – La garantie de l’indépendance des banques centrales est un élément crucial du credo que l’on attend des dirigeants politiques “sérieux” (on peut y ajouter l’appel aux privatisations, à la flexibilité du marché du travail, etc.). Mais les banques centrales doivent être indépendantes de quoi ? La réponse paraît évidente : indépendantes des Etats.

En ce sens, la Banque centrale européenne (BCE) en est la quintessence : aucun Etat en particulier n’est derrière elle, pourtant c’est la moins indépendante de toutes les banques centrales du monde développé.La principale difficulté tient à la clause dite de “non-intervention” – l’interdiction d’aider les pays membre insolvables. Les banques commerciales étant la source essentielle de leur financement, la BCE doit refuser toute liquidité aux banques des pays membres insolvables. Elle n’a donc pas le droit d’intervenir à titre de prêteur de dernier recours.

Le talon d’Achille de ce systéme est le manque de procédure établie en cas d’insolvabilité d’un pays membre de la zone euro. Ainsi lorsque la Grèce est devenue insolvable en 2010, les gouvernements français et allemand lui ont interdit de faire défaut sur les dettes détenues par les banques françaises et allemandes. Le premier plan de sauvetage de la Grèce a servi à rembourser ces banques, ce qui a aggravé encore l’insolvabilité de la Grèce.

C’est à ce moment là que le manque d’indépendance de la BCE est apparu au grand jour. Depuis 2010 le gouvernement grec comptait sur une série de prêts qu’il ne pourrait jamais rembourser – ceci pour donner l’impression d’être solvable. Si la BCE était véritablement indépendante et suivait les règles qu’elle s’était fixées, elle aurait refusé à titre de collatéraux les dettes garanties par l’Etat grec – autrement dit les bons du Trésor et les plus de 50 milliards d’euros émis sous forme d’engagements remboursables à vue par les banques grecques pour rester à flot.

Ce refus aurait évidemment conduit à la fermeture des banques grecques et à la sortie immédiate de la Grèce de la zone euro, car le gouvernement aurait été contraint d’émettre des liquidités. La seule alternative aurait été une restructuration significative pour mettre fin à l’insolvabilité de la Grèce. Malheureusement, ne voulant d’aucune de ces deux options, l’establishment politique européen a choisi une stratégie de faux-semblants : accroître l’insolvabilité de la Grèce, tout en prétendant y mettre fin grâce à de nouveaux prêts.

L’acceptation constante par la BCE de cette stratégie exigée par les créanciers a réduit à rien sa prétendue indépendance. Pour éviter la fermeture des banques grecques et accepter leurs collatéraux garantis par l’Etat, la BCE est obligée d’exempter la Grèce de sa règle de non-insolvabilité. Et pour l’étrangler à coup sûr, l’Allemagne demande que cette exemption soit soumise à son approbation – ou en langage diplomatique que l’Eurogroupe (la réunion des ministres des Finances de la zone euro) confirme que “la consolidation budgétaire de la Grèce et son programme de réformes sont en bonne voie”.

Ce sont en réalité les politiciens qui disent à la BCE quand refuser des liquidités à tout un systéme bancaire. La BCE peut se prétendre indépendante à l’égard des pays insolvables de la périphérie de la zone euro, mais elle est entièrement à la merci des gouvernements des pays européens créanciers.

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Pour comprendre l’attitude de la BCE, il faut examiner le comportement des créanciers à l’égard du gouvernement grec élu en janvier 2015. En décembre 2014, il était clair que le gouvernement précédent tirait ses dernières cartouches et que Syriza, le parti de gauche, allait arriver au pouvoir. Le gouverneur de la banque centrale grecque, une succursale de la BCE, a alors “prédit” que les marchés allaient être confrontés à un manque de liquidités. Il sous-entendait par là qu’une victoire de Syriza rendrait le systéme bancaire peu sûr – une affirmation absurde, si elle n’avait pour but de déclencher une panique bancaire.

Quand je suis devenu ministre des Finances en février 2015, après la victoire de Syriza, c’était en pleine panique bancaire, alors que la Bourse était en chute libre. La raison en était que l’Allemagne, très opposée à Syriza, était sur le point de revenir sur l’autorisation nécessaire à la BCE pour maintenir l’exemption accordée à la Grèce. Cette exemption lui permettait d’accepter comme collatéraux des titres de dette publique.

Afin de stabiliser la situation, je suis allé à Londres pour transmettre aux financiers un message de modération en ce qui concerne les réformes et la restructuration de la dette. Le lendemain matin, la Bourse faisait un bond de 13%, les actions des banques une envolée de plus de 20%, et la panique bancaire s’est arrêtée.

Ce jour-là, la BCE, sous la pression de l’Allemagne, est revenue sur une grande partie de son exemption. Les banques grecques n’ont alors plus eu accès direct à la BCE et ont dû s’adresser à la banque centrale de Grèce pour obtenir un financement plus coûteux (baptisé aide d’urgence en cas de crise de liquidité). Il n’est pas surprenant que la Bourse ait alors dégringolé et que la panique bancaire a repris de plus belle. Parallèlement, l’Allemagne et d’autres créanciers incitaient la Grèce à accepter un nouveau plan d’austérité comme prix à payer pour le renversement de la décision de la BCE.

Cela n’a pas été la seule mesure de la BCE motivée par des raisons politiciennes. Sa décision de diminuer les achats de bons du Trésor par les banques grecques en leur demandant de refuser de refinancer la dette a été tout aussi agressive. La capacité de mon ministère à rembourser le FMI en a été affectée, alors que ce dernier exigeait une diminution drastique des retraites et la suppression des dernières mesures de protection accordées aux travailleurs grecs.

Pendant cinq mois, alors que la BCE durcissait encore ses conditions, nous résistions aux appels à davantage d’austérité lancés par l’Allemagne et le FMI. Enfin, en juin 2015, dépourvues de toute liquidité, les banques grecques ont dû fermer. Cet épisode a été suivi par une ultime manœuvre visant à diviser le gouvernement et à contraindre le Premier ministre à capituler – ce qu’il a fait en acceptant un dernier prêt de 85 milliards dans cette stratégie de faux-semblants.

Presque un an plus tard, les créanciers de la Grèce réclamaient encore plus d’austérité en échange de prêts supplémentaires. A ce moment là, le gouverneur de la banque centrale de Grèce (qui est à l’origine de la panique bancaire de décembre 2014) a accusé publiquement notre gouvernement d’être la cause jusqu’en juin 2015 d’un retrait de capitaux de 45 milliards sur les dépôts bancaires, de la fermeture des banques qui a suivi et des nouveaux prêts. Le bourreau accusait la victime, tandis que la BCE endossait ouvertement son rôle de gendarme pour ses maîtres : les créanciers.

Dans le cadre actuel de la zone euro, la BCE ne peut être indépendante. Pire encore, prétendre qu’elle l’est revient à dissimuler des interventions qui ont des motivations politiques et sont totalement incompatibles avec les principes de la démocratie libérale.

Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz

Yanis Varoufakis, ancien ministre des Finances de la Grèce, est professeur d’économie à l’université d’Athènes.

 

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