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Le centenaire de la relativité

STOCKHOLM – Cette année marque le centenaire de la théorie générale de la relativité d’Albert Einstein, son chef d’œuvre qui décrit la gravité comme courbure de l’espace et du temps. Pourtant, comme cela se produit souvent en sciences, les idées d’Einstein ont fourni autant de questions que de réponses aux physiciens.

 

Il est difficile de trouver des solutions répondant aux équations d’Einstein (des espaces-temps qui décrivent la courbure de notre univers), c’est pour cette raison que sa théorie a mis du temps à se populariser. Les scientifiques qui ont effectué les premières études et les premiers essais cruciaux ont été forcés d’utiliser des approximations. Il a fallu des décennies pour développer des techniques de classification et en dériver de nouvelles solutions. Aujourd’hui pourtant, de nombreuses solutions sont connues et d’autres problèmes épineux, comme le champ gravitationnel de deux étoiles qui entrent en collision, peuvent être explorés en utilisant des ordinateurs pour effectuer les calculs numériques.

La théorie d’Einstein ne décrit pas seulement notre univers, du Big Bang aux trous noirs : elle a également enseigné aux physiciens la pertinence de la géométrie et de la symétrie : des leçons qui s’étendent du domaine de la physique des particules à celui de la cristallographie. Mais malgré les similitudes de la théorie d’Einstein avec d’autres théories de la physique, elle se distingue par son refus de se combiner avec la mécanique quantique, la théorie qui explique le comportement prédominant de la matière à l’échelle atomique et subatomique.

Selon la théorie d’Einstein, la gravité, contrairement à toutes les autres forces physiques connues de l’homme, n’est pas quantifiée. Elle n’est pas soumise au fameux principe d’incertitude d’Heisenberg. Le champ électromagnétique d’une particule qui passe à travers une double fente peut passer à travers les deux fentes à la fois. Son équivalent gravitationnel ne le peut pas. Cette inadéquation entre notre compréhension de la gravité et les théories quantiques de la matière représente un énorme casse-tête pour les physiciens théoriciens, car elle conduit à des contradictions mathématiques.

De toute évidence, il y a quelque chose à propos de la combinaison de la théorie quantique et de la gravité qui reste inconnu. Et notre compréhension de l’espace, du temps et de la matière repose sur la solution de cette connexion. Trouver une description de la gravité compatible avec notre compréhension de la physique quantique pourrait bien révolutionner la cosmologie, donner de nouvelles indications sur les premiers instants de notre univers et fournir une meilleure compréhension des théories sur lesquelles repose toute la physique moderne. Mais malgré l’énorme impact potentiel d’une telle percée et les efforts de générations de physiciens pour y parvenir, nous ne savons toujours pas quelle théorie est la bonne.

Contrairement à l’impression que l’on peut avoir quand on essaie de sortir du lit le matin, la gravité est de loin la force fondamentale la plus faible parmi toutes celles connues. Il suffit de la répulsion statique de quelques électrons pour que vos cheveux se dressent sur votre tête, surpassant ainsi l’attraction gravitationnelle de la planète entière. Dans le monde atomique et subatomique, la gravité n’est pas pertinente par rapport aux autres événements, qui sont tous descriptibles par les théories quantiques.

La faiblesse de la gravité complique énormément la mesure de ses effets quantiques. Par conséquent, nous n’avons pas de données expérimentales pour guider les physiciens théoriciens dans le développement de la théorie manquante. Détecter un « graviton », la particule hypothétique qui compose une partie d’un champ gravitationnel, exigerait un accélérateur de particules de la taille de la Voie Lactée ou un détecteur d’une masse équivalente à celle la planète Jupiter. Ces expériences sont si éloignées de nos capacités technologiques que les physiciens se concentrent sur des essais visant d’abord à supprimer les contradictions mathématiques, en élaborant des approches comme la théorie des cordes, la gravitation quantique à boucles et la gravité asymptotiquement sûre. Mais pour savoir quelle théorie décrit la réalité physique, il faudra en définitive développer des essais expérimentaux.

C’est pour cette raison qu’au cours de la dernière décennie, les physiciens ont commencé à chercher des preuves indirectes de la gravité quantique. Plutôt que de chercher à détecter un quantum du champ gravitationnel, les chercheurs sont à la recherche d’autres effets qui impliquent que la gravité soit quantifiée. Ces tests fonctionnent comme ceux qui utilisent la stabilité d’atomes comme preuve indirecte dans la quantification de la force électromagnétique. Par exemple, certains scientifiques sont à la recherche de preuves de fluctuations quantiques de l’espace-temps, capables de brouiller les images des étoiles lointaines ou de conduire à des distorsions systématiques. D’autres recherchent des violations de certaines symétries qui pourraient permettre des désintégrations de particules en principe interdites, du bruit inexpliqué dans les détecteurs d’ondes gravitationnelles, ou une perte inexplicable de cohérence quantique.

Jusqu’à présent, ces tentatives ont échoué à détecter la preuve recherchée. Elles ont néanmoins conduit à des développements importants, car les résultats négatifs ont écarté certaines hypothèses plausibles. Et bien que les chercheurs n’aient pas trouvé de résultats à l’appui d’une théorie quelconque, ils ont fait avancer la cause de la science par une meilleure définition des critères d’observation qu’une théorie quantique de la gravitation doit à présent prendre en compte.

Au moment où nous commémorons la prouesse d’Einstein, nous devons également saisir cette occasion de rendre hommage à l’esprit implacable de ceux qui vont de l’avant et tentent de répondre aux questions que sa théorie nous a laissées. Cette quête s’est épanouie dans les domaines de recherche étonnamment fructueux, comme la cosmologie, la relativité générale numérique et la gravité quantique. La relativité générale nous a fait découvrir les trous de ver, l’évaporation des trous noirs et la théorie du Big Bang. Elle sous-tend la découverte selon laquelle l’univers est en expansion et que les soi-disant exoplanètes sont beaucoup plus fréquentes qu’on ne le pensait. Et elle a complètement redéfini la façon dont nous concevons en fin de compte notre propre place dans l’univers, en remettant même en question le fait que cet univers soit le seul.

Aucun de ces progrès n’aurait été possible pour des chercheurs qui travaillent suivant des projets triennaux caractéristiques d’une grande partie du milieu universitaire actuel. Cette année est peut-être une bonne occasion de nous montrer reconnaissants envers les visionnaires qui ont compris que le progrès durable s’appuie sur le développement des théories nouvelles et meilleures, dont l’impact ne peut pas être bien compris pendant des décennies et qui en fait, peuvent continuer à se ramifier 100 ans plus tard.

Sabine Hossenfelder est professeure à l’Institut nordique pour la physique théorique à Stockholm, en Suède.

Copyright: Project Syndicate, 2015.

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