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Le tour des Kurdes

NEW YORK – Les résultats montrent qu’un pourcentage important des huit millions de Kurdes d’Irak ont participé au référendum sur l’indépendance du Kurdistan autonome et des territoires du pays à forte population kurde. Une proportion plus importante encore d’électeurs – qui serait supérieure à 90 % – ont voté oui. L’hostilité internationale, pourtant, est à peu près générale et, dans le monde d’aujourd’hui, un État ne peut se constituer qu’à condition d’être reconnu par les autres. Que va-t-il donc se passer ?


Il n’existe pas – et il ne saurait bien entendu exister – de droit automatique à l’autodétermination. Ce fut une chose pour les peuples colonisés, gouvernés par des États distants de milliers de kilomètres et privés d’une grande part de leurs droits, d’adopter l’indépendance au lendemain de la Seconde Guerre mondiale ; c’en est une autre pour une région de se séparer d’un pays souverain. Un monde où de telles sécessions se multiplieraient serait plus désemparé encore que celui dans lequel nous vivons déjà.

Une question, dès lors, survient : dans quelles circonstances doit-on soutenir des dirigeants et des populations qui cherchent à se détacher d’un pays pour créer le leur ? S’il n’existe pas de critères universellement acceptés, qu’il me soit permis d’en suggérer quelques-uns :

• Une histoire attestant l’identité collective incontestable du peuple en question ;

• • Un fondement incontournable, à savoir que la population doit être capable de prouver que le prix politique, physique et économique
 du statu quo est trop élevé ;

• Le choix clair de la population en faveur d’un statut politique nouveau et distinct ;

• La viabilité du nouvel État (la prolifération des États faillis est la dernière chose dont le monde a besoin) ;

• Une scission qui ne remette en cause ni la viabilité du reste de l’État partitionné ni la sécurité des États voisins.

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À l’aune de ces critères, les arguments en faveur de l’indépendance kurde sont convaincants. Les Kurdes ont une conscience aiguë de leur histoire collective et un fort sentiment d’identité nationale. Leur échec à créer un État après la Première Guerre mondiale ne peut leur être imputé : leurs raisons étaient aussi légitimes que celles d’autres groupes dont les aspirations nationales ont été satisfaites. Les Kurdes d’Irak ont terriblement souffert du régime de Saddam Hussein (qui eut recours contre eux aux armes chimiques). Un Kurdistan indépendant, étant donné ses réserves énergétiques, aurait les capacités de sa viabilité économique. Et l’Irak sans le Kurdistan demeurerait viable, tout comme les pays voisins.

Malgré cela, le souhait des Kurdes du nord de l’Irak d’obtenir leur propre État se heurte à une résistance quasi générale. Le gouvernement central irakien, inquiet de cette perte de territoires et des importantes réserves de pétrole qui y sont attachées, s’oppose fortement à une sécession kurde. La Turquie, l’Iran et la Syrie refusent tous et partout l’indépendance, craignant que leurs propres minorités kurdes ne soient « contaminées » par le « virus » de l’État kurde et ne cherchent elles aussi à faire sécession pour créer leur propre État ou rejoindre la nouvelle entité kurde détachée de l’Irak.

Le gouvernement central irakien a fermé son espace aérien aux vols à destination de la région kurde ou en provenance de celle-ci. Et la Turquie a menacé de couper l’oléoduc indispensable au Kurdistan pour exporter son pétrole. Le danger de telles initiatives est qu’elles peuvent remettre en cause la viabilité de la nouvelle entité (qui se retrouverait ainsi prisonnière), sans compter les risques d’affrontements armés.

Les États-Unis s’opposent à l’indépendance kurde, inquiets que l’opposition des États voisins n’alimente de nouveaux troubles dans un Moyen-Orient déjà très agité. Mais il est aussi vrai que les Kurdes remplissent de nombreux critères parmi ceux qui font un État, qu’ils se sont doté d’un système politique aux attributs démocratiques, et qu’ils se sont montrés, aussi bien en Irak qu’en Syrie, un allié loyal et efficace contre l’État islamique. Quant à l’opposition d’une Turquie illibérale, d’un Iran impérial, d’un Irak lourdement influencé par l’Iran et d’un régime syrien qui ne doit sa survie qu’aux interventions militaires iranienne et russe, elle renforce encore les arguments géopolitiques en faveur d’un État kurde.

Pour les États-Unis et l’Union européenne (qui a reçu tout aussi fraîchement l’idée d’une indépendance kurde), une option pourrait être de soutenir des négociations entre le Gouvernement régional du Kurdistan (GRK) et le gouvernement irakien à Bagdad, voire d’y participer. Ces discussions pourraient rechercher un compromis sur le partage des ressources et des territoires. Des pourparlers parallèles entre la Turquie et le GRK pourraient aborder les questions économiques et de sécurité.

Les États-Unis et l’Union européenne devraient aussi faire comprendre qu’un soutien de leur part au séparatisme kurde ne saurait constituer un précédent. Il existe aujourd’hui plus de 190 pays, et l’émergence de nouveaux pays n’est jamais simple ni facile. Chaque situation est singulière et doit être jugée comme telle. Tous les groupes ont le droit de participer au choix de leur avenir, mais non de le décider seuls. Les Kurdes d’Irak ont fait connaître leur préférence ; refuser de prendre leur but au sérieux n’est ni juste ni soutenable.

Traduction François Boisivon

Richard N. Haass est président du Council on Foreign Relations. Son dernier livre s’intitule A World in Disarray: American Foreign Policy and the Crisis of the Old Order (« Un monde désemparé : la politique étrangère américaine et la crise de l’ordre ancien »).

Par Richard N. Haass

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