[bsa_pro_ad_space id=1]

Commentary

Les enfants de Somalie ne sont pas responsables de l’endettement de leur pays

LONDRES – Julius Nyerere, le premier président de Tanzanie, a posé un jour une question brutale à ses créanciers : “Devons-nous laisser nos enfants mourir de faim pour rembourser notre dette ?” C’était en 1986, avant les campagnes d’opinion et les initiatives qui ont permis d’annuler une grande partie de la dette insoutenable sous laquelle ployait l’Afrique. Mais cette question se pose aujourd’hui pour la Somalie sur laquelle pèse un nuage lourd de menaces.


L’année dernière, grâce à un effort humanitaire sans précédent, ce pays a échappé à la famine. La pire sécheresse de toute une génération a détruit les moissons et décimé le bétail. Presque un milliard de dollars a été consacré à une aide d’urgence (nourriture, soins médicaux et eau potable) qui a sauvé de nombreuses vies. Cela a évité la répétition du scénario de la sécheresse de 2011, quand le retard de l’aide internationale s’est traduit par près de 260 000 morts.

Pourtant, malgré tout ce qui a été fait récemment, le sort de la Somalie reste très incertain. Des systèmes d’alerte précoce signalent un risque de famine en 2018. En raison de pluies peu abondantes et rares, 2,5 millions de personnes sont confrontées à une crise alimentaire, quelques 400 000 enfants souffrent de malnutrition sévère, tandis que le prix des produits alimentaires augmente. Et comme les puits sont à sec, les villages dépendent d’un approvisionnement par camion-citerne pour l’eau – une opération coûteuse.

Selon les agences de l’ONU, prés de la moitié des 14 millions de Somaliens ont besoin d’aide humanitaire. Son rôle est crucial ; mais elle est essentiellement à court terme et souvent volatile et ne brisera pas le cycle mortel de la sécheresse, de la faim et de la pauvreté. La Somalie a besoin d’un financement prévisible et à long terme pour développer les systèmes de santé, d’éducation et de protection sociale et les infrastructures économiques qui amélioreront sa résilience.

L’endettement est un obstacle à ce financement. La dette extérieure du pays est de 5 milliards de dollars. Ses créanciers vont de pays riches comme les USA, la France et l’Italie à des autorités et des institutions régionales comme le Fonds monétaire arabe.

Mais sa dette comporte aussi un arriéré de 325 millions de dollars dus au FMI. Or cet arriéré constitue un obstacle : les pays qui ont un arriéré à l’égard du FMI ne peuvent recevoir un financement à long terme d’autres sources, notamment les 75 milliards de dollars de prêt sous des conditions très favorables de l’Association internationale de développement (IDA) du Fonds de la Banque mondiale.

Une grande partie de la dette de la Somalie date de la Guerre froide, lorsque la Corne de l’Afrique était une zone de rivalité pour les deux superpuissances. Plus de 90% de cette dette correspond à des arriérés portant sur des crédits accordés au début des années 1980 – bien avant que ne soient nés les deux tiers de la population somalienne d’aujourd’hui.

La plupart de ces crédits ont été alloués au président Siad Barre pour le récompenser d’avoir quitté la zone d’influence de l’URSS au profit de l’Occident. Une grande partie de l’argent qu’il a reçu était destinée à l’achat d’armements : le ministère somalien de la Défense est responsable de plus de la moitié des 973 millions de dollars de dette envers les USA. C’est ainsi qu’il s’est procuré un armement sophistiqué. On a alors incité le FMI à garantir le remboursement des prêts par un programme d’ajustement structurel. Le remboursement de la dette coûterait aujourd’hui 361 dollars à chaque homme, femme et enfant somalien.

[bsa_pro_ad_space id=1]

Tout cela n’aurait guère d’importance si la Somalie répondait aux critères voulus pour une réduction de dette. Le programme d’allégement de la dette au titre de l’initiative en faveur des pays pauvres très endettés adopté par le FMI et la Banque mondiale pour répondre aux campagnes des années 1990 en faveur d’une forte réduction de la dette a permis d’effacer 177 milliards de dette au profit de 36 pays. La Somalie est l’un des trois qui ne répondent pas encore aux critères voulus, essentiellement en raison des arriérés dus au FMI. Les deux autres sont l’Erythrée et le Soudan.

Le FMI estime que la Somalie, au même titre que les premiers bénéficiaires du programme d’allègement de la dette, doit présenter un bilan de ses réformes économiques. Mais cela retardera l’annulation de sa dette (le délai pourrait atteindre 3 ans), l’exclura des opérations de financement du développement à long terme et renforcera sa dépendance à l’égard de l’aide d’urgence. D’autres créanciers soutiennent silencieusement cette stratégie.

La Somalie mérite mieux. Le gouvernement du président Mohamed Abdullahi Mohamed a montré son engagement en faveur des réformes économiques, de la transparence et de la nécessité de rendre des comptes de son action. Depuis deux ans, il adhère à un programme du FMI et remplit les objectifs voulus en terme d’amélioration des finances publiques et du secteur bancaire. Il doit encore faire davantage, surtout en ce qui concerne la mobilisation des ressources intérieures. Mais c’est la première fois qu’un gouvernement somalien offre à la communauté internationale l’occasion de soutenir son redressement économique. Nous devons saisir cette opportunité.

Attendre trois ans de plus pour que la Somalie réponde à tous les critères du FMI serait le triomphe de l’autosatisfaction bureaucratique sur les besoins humains. Sans aide internationale, la Somalie n’aura pas les ressources nécessaires pour briser le cycle mortel de la sécheresse, de la faim et de la pauvreté.

Les enfants de Somalie ont un besoin urgent de soins de santé, d’une alimentation suffisante et d’instruction. Il faut financer ces besoins dès maintenant – et non dans un futur indéterminé. Investir dans l’irrigation et la gestion de l’eau stimulera la productivité. Les pertes de récolte et de bétail dues à la sécheresse se chiffrent à 1,5 milliards de dollars, aussi un programme de soutien financier direct par le gouvernement aiderait au redressement du pays, renforcerait sa résilience et établirait un lien de confiance.

Ce financement améliorerait la sécurité. L’espoir dont sont porteurs l’éducation, les soins de santé et la perspective d’un emploi est une arme bien plus efficace qu’un drone pour combattre une insurrection qui génère désespoir, pauvreté, chômage et absence de services de base.

Il y a une alternative à l’inertie à laquelle pousse le FMI quant à l’allègement de la dette. La Banque mondiale et les principaux créanciers pourraient décider d’une réunion de tous les créanciers de la Somalie pour parvenir rapidement à une solution. A plus court terme, la Banque mondiale pourrait chercher à obtenir l’approbation de ses actionnaires en faveur d’un mécanisme spécial (une allocation destinée à financer au moins provisoirement les arriérés) qui permettrait à la Somalie de bénéficier du programme d’allégement de la dette. Il existe un précédent : en 2005 les USA ont incité la Banque mondiale à aider le Libéria, alors que ce pays qui sortait de la guerre civile était fortement endetté envers le FMI.

On peut discuter des problèmes techniques et les résoudre. Mais n’oublions pas ce qui est en jeu. Il n’est pas acceptable que le FMI et les autres créanciers empêchent la Somalie de bénéficier d’un financement en raison d’arriérés sur une dette vieille de 30 ans dus à des prêts accordés à la légère et à des emprunts irresponsables.

Les enfants de Somalie ne sont pour rien dans cette dette. Ils ne doivent pas en payer le prix avec leur avenir.

Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz

Kevin Watkins est directeur de l’ONG Save the Children UK.

par Kevin Watkins

[bsa_pro_ad_space id=1] [bsa_pro_ad_space id=2] [bsa_pro_ad_space id=3] [bsa_pro_ad_space id=4] [bsa_pro_ad_space id=5] [bsa_pro_ad_space id=6]
Back to top button