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Lutter contre la manipulation des monnaies

WASHINGTON, DC – Est-il convenable de recourir à des accords commerciaux dans le but de dissuader les États d’entreprendre sur le marché des changes une intervention à grande échelle qui leur permettrait de maintenir une faible valeur de leur monnaie ? C’est la question du jour au sein des cercles de la politique économique américaine.

Ces dernières années, Japon, Chine et Corée du Sud ont choisi de manipuler leur monnaie respective afin de la maintenir sous-évaluée. Ceci leur a permis de booster les exportations, de limiter les importations, et d’enregistrer d’importants excédents de balance courante.

Or, de telles interventions viennent mettre à mal les partenaires commerciaux, et sont d’ailleurs interdites par les règles internationales actuelles. Seulement voilà, ces règles se révèlent totalement inefficaces.

Voici toutefois qu’apparaît aujourd’hui une opportunité de résolution de cette problématique, à travers le Partenariat transpacifique (TPP) – accord de libre-échange d’envergure méga-régionale, réunissant les États-Unis, le Japon, ainsi que dix autres pays d’Amérique latine et d’Asie. À l’approche de la finalisation du TPP, la Chine et la Corée du Sud observent avec la plus grande attention, tandis que d’autres pays pourraient souhaiter s’y joindre.

Le président américain Barack Obama fait valoir, à juste titre, combien il s’agit là d’une occasion de fixer les règles du commerce et des investissements pour le reste du XXIe siècle.

Or, le département américain du Trésor et le représentant américain au commerce refusent fermement d’inclure au TPP toute disposition d’interdiction de manipulation des monnaies, principalement pour cinq raisons – dont aucune ne correspond à la réalité des faits.

Première argument, le Fonds monétaire international serait en mesure de gérer les éventuels cas de manipulation des devises. Effectivement, le FMI élabore des directives actualisées qui définissent et sont censées prévenir la manipulation des monnaies.

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Ces directives ont été adoptées non seulement avec l’assentiment de l’Amérique, mais également parce que celle-ci a insisté en ce sens, à l’époque (milieu des années 2000) où le renminbi chinois était considérablement sous-évalué, contribuant à la disparition de plusieurs millions d’emplois américains dans le secteur manufacturier.

Malheureusement, le FMI n’est pas en capacité de faire appliquer ses directives, dans la mesure où les manipulateurs de monnaie ont la possibilité de jouer la montre. Il s’agit là d’un phénomène persistant et bien ancré, que j’ai notamment pu observer dans le cadre de mes fonctions d’économiste en chef du FMI (de début 2007 à août 2008).

Deuxième argument avancé par le Trésor américain et le représentant au commerce, il serait impossible de négocier quelque règle suffisamment précise en matière de devises. Or, le FMI a su élaborer des directives très satisfaisantes – dans leur version 2007 comme 2012 – qui ont été négociées par le Trésor lui-même.

Reconnaissant cette réalité, le membre du Congrès Sander Levin – élu démocrate de la Commission des voies et moyens de la Chambre des représentants, laquelle est compétente en matière de commerce international – propose d’intégrer au TPP un chapitre fondé sur les directives du FMI.

Ces directives déterminent lorsqu’un État, enregistrant pourtant un important excédent de balance courante, procède à des achats à grande échelle et à long terme d’actifs étrangers, bloquant ainsi l’appréciation des taux de change – soit précisément la difficulté que nous souhaitons prévenir. (J’ai travaillé sur certaines de ces questions en collaboration avec Levin, bien que je ne m’exprime ici qu’à titre personnel.)

Le troisième argument invoqué en opposition à l’intégration de dispositions d’anti-manipulation au sein du TPP consiste à faire valoir que de telles dispositions mettraient en péril la capacité de l’Amérique à mettre en œuvre une relance monétaire. Or, il y a là une compréhension erronée de la problématique.

La présence d’un chapitre correctement élaboré au sein du TPP et régissant la question des devises ne saurait mettre à mal l’indépendance monétaire des États-Unis.

La politique monétaire conventionnelle consiste à modifier les taux d’intérêt à court terme, et fait intervenir des achats de la part de la banque centrale, ainsi que des ventes de dettes publiques à court terme. Aucune intervention ne s’opère sur le marché des changes – achat et vente de devises étrangères.

De même, l’assouplissement quantitatif (QE) qui caractérise la politique monétaire de nombreuses banques centrales majeures depuis quelques années n’implique nullement l’achat ou la vente de devises étrangères. Dans le cadre du QE, la Réserve fédérale achète – et annonce qu’elle entend acheter – des actifs ; la seule différence réside en ce que ces actifs consistent en instruments de dette publique américaine à échéance plus étendue, ainsi qu’en titres de toutes sortes adossés à des créances hypothécaires, le tout libellé en dollars américains.

Le quatrième argument consiste à faire valoir qu’aucun grand pays ne procéderait actuellement à la moindre manipulation de son taux de change (le renminbi s’apprécie depuis le milieu des années 2000), et que rien ne saurait par conséquent susciter l’inquiétude.

Or, rien n’empêche non plus la Chine ou un autre pays de relancer une intervention de grande ampleur sur le marché des devises, si tel État le souhaite, et au moment de son choix. De plus, l’absence actuelle de tensions autour des taux de change nous confère l’opportunité de soulever la question.

Dernier argument d’exclusion de l’idée d’intégrer un chapitre monétaire au TPP, les États présents à la table des négociations n’accepteront jamais. Or, cet argument ne tient plus dès lors que l’on s’intéresse individuellement aux pays participants.

Le Canada, l’Australie et la Nouvelle-Zélande, économies développées présentant des taux de change flottants, ne souhaitent nullement encourager la manipulation des monnaies. Le Chili, pays à revenu intermédiaire appliquant depuis longtemps des politiques macroéconomiques saines et responsables, ne s’inscrit pas non plus en faveur d’une telle manipulation. Quant au Mexique et au Pérou, ils ont beaucoup à craindre d’autres pays s’ils décident de devenir à nouveau des manipulateurs de devises.

De même, appliquant sa propre version du QE, le Japon est soucieux des éventuelles manipulations monétaires menées par d’autres pays tels que la Chine et la Corée du Sud. La Malaisie et Singapour, qui ont accumulé un important stock de réserves de change, n’ont désormais aucun intérêt à voir leurs partenaires commerciaux se livrer à une manipulation de la monnaie. Le Vietnam a d’autres problématiques plus sérieuses à résoudre dans le cadre du TPP, notamment en matière de droit du travail. Quant au Sultanat de Brunei, il est peu probable que sa population de moins de 500 000 habitants lui confère le poids suffisant pour formuler quelque objection.

La manipulation des monnaies est un réel problème, qui engendre de sérieux dégâts. L’accord de TPP – à condition qu’il instaure un mécanisme de résolution des litiges, permettant d’évacuer rapidement les revendications triviales et de privilégier les cas avérés – nous offre sans doute la meilleure chance d’y remédier.

Traduit de l’anglais par Martin Morel

Simon Johnson est professeur à la Sloan School of Management du MIT et co-auteur de l’ouvrage intitulé White House Burning: The Founding Fathers, Our National Debt, And Why It Matters To You.

Copyright: Project Syndicate, 2015.
www.project-syndicate.org

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