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Commentary

Obama en Arabie

PRINCETON – La visite du président Barack Obama cette semaine en Arabie saoudite, où il participe au sommet du Conseil de coopération du Golfe, vient à un moment où les relations entre les deux pays ont rarement été aussi mauvaises. Pourtant, quoi que pensent la plupart des Américains de l’Arabie saoudite, le pays demeure un important allié régional. Obama agirait sagement en raccommodant la relation bilatérale.

L’Arabie saoudite, d’où provient un baril de pétrole sur neuf consommés dans le monde, n’est pas seulement un pilier de l’économie planétaire ; la stabilité de son gouvernement est indispensable à l’ordre international. Si la dynastie des Saoud venait à tomber et si le pays devait se disloquer en territoires rivaux dirigés par des factions djihadistes ou tribales, les guerres civiles de Syrie et de Libye sembleraient en comparaison des conflits de peu d’importance.

L’effondrement de l’État saoudien déborderait rapidement sur les pays voisins du Golfe, déclenchant une implosion de la région, avec des conséquences humanitaires inimaginables. Les États-Unis ne pourraient éviter d’être entraînés à intervenir militairement dans la région, ne serait-ce que pour sauvegarder les approvisionnements de pétrole et de gaz dont dépend l’économie mondiale.

La décision prise par Obama de diminuer le niveau d’engagement direct de l’Amérique au Moyen-Orient est une des principales causes de la détérioration des relations américano-saoudiennes. Dans un long entretien accordé au journaliste Jeffrey Goldberg, Obama a exprimé son désir de voir l’Arabie saoudite « partager » la région avec l’Iran, son principal rival régional.

Obama a dépensé beaucoup de temps et beaucoup de son capital politique pour obtenir un accord sur le nucléaire avec l’Iran. Il espère que la levée des sanctions, en échange de la promesse que les Iraniens stopperont pendant environ quinze ans leur programme nucléaire, conduira l’Iran à revoir son comportement, à devenir un acteur étatique plus responsable et à abandonner son agenda révolutionnaire tout comme son recours fréquent à des acteurs non-étatiques (dont des groupes terroristes) pour servir ses buts.

Si l’Iran se conduit comme l’espère Obama, les États-Unis pourront réduire leur présence militaire dans le Golfe. Et si les dirigeants iraniens cessent de promouvoir la terreur, un nouvel et important acquis de la politique étrangère américaine viendra s’ajouter au legs d’Obama.

Malheureusement pour Obama – et pour le Moyen-Orient – sa stratégie ne fonctionne pas. Alors que recule l’ombre de l’Amérique, l’Arabie saoudite et l’Iran deviennent plus agressifs, voire irresponsables, dans la poursuite de leurs intérêts. L’Iran demeure le principal soutien tant du président syrien Bachar El-Assad que du gouvernement chiite de Bagdad, ce qui en fait un des principaux acteurs de la tragédie humanitaire dans l’un et l’autre pays, où les Arabes sunnites forment la majorité des victimes de la violence.

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Le comportement de l’Arabie saoudite a changé de façon encore plus spectaculaire, en réponse à ce qu’elle perçoit comme l’abandon des États-Unis. La direction du royaume s’est convaincue que l’administration Obama n’était plus derrière elle, et qu’elle remettait en question une relation vieille de plusieurs décennies où l’Amérique garantissait la sécurité de l’Arabie saoudite en échange de son soutien économique et politique. Les Américains présents à Riyad s’entendent souvent demander si la politique d’Obama doit être considérée comme une exception ou s’il s’agit désormais d’un attribut permanent de la politique américaine à l’égard du Golfe.

La politique menée par Obama a conduit le royaume à rompre avec sa longue tradition de diplomatie tranquille et de manœuvres en coulisses. L’Arabie saoudite devient à l’inverse agressive et martiale. Elle a rompu ses relations diplomatiques avec l’Iran, retiré au Liban son soutien financier et mené une guerre au Yémen, mal conclue mais dévastatrice, contre ceux qu’elle considère comme des forces iraniennes par procuration. Plus récemment, les Saoudiens ont menacé de se débarrasser de leurs actifs américains si le Congrès votait une proposition de loi qui aurait ouvert la porte à des poursuites contre leur direction, mise en cause dans les attaques du 11 septembre 2001.

Il ne sera pas aisé de raccommoder la relation. Offrir de vendre aux États du Golfe de nouvelles armes, comme Obama le fera certainement cette semaine, enhardira probablement un peu plus les acteurs régionaux, au risque de jeter de l’huile sur le feu. Le président accomplirait beaucoup plus si, au contraire, il offrait explicitement l’assurance que les États-Unis prendraient la défense des pays du Conseil de coopération du Golfe contre toute agression extérieure, quelle qu’en soit la forme.

Un tel geste ne serait pas sans précédent. Les présidents Jimmy Carter et Ronald Reagan offrirent en leur temps des garanties similaires, et Obama réitérerait et renforcerait cet engagement tout en prenant en compte l’utilisation potentielle par l’Iran d’acteurs non-étatiques. Une telle déclaration serait un signal envoyé à l’Iran et ferait beaucoup, et plus encore, pour calmer l’anxiété du roi Salman.

En retour, les États-Unis pourraient obtenir des concessions sur les fronts intérieur et régional. L’histoire des intérêts américains dans les questions intérieures saoudiennes est une longue histoire. L’engagement des États-Unis fut particulièrement conséquent sous les mandats des présidents John F. Kennedy et Gerald Ford, et se maintint jusque dans les années 1990.

Le royaume s’est récemment lancé dans une vaste réforme de son gouvernement et dans la restructuration de son économie. Les États-Unis pourraient le presser d’intégrer à cet effort le renforcement de sa représentativité politique et la transparence de l’attribution des recettes pétrolières. Mener à bien ces réformes assurerait la longévité de la monarchie et la stabilité du pays. Les États-Unis pourraient aussi persuader au gouvernement saoudien d’entreprendre des négociations avec l’Iran, ce qui réduirait les tensions sur de nombreux fronts, notamment en Irak, au Liban, au Bahreïn et au Yémen.

Les guerres en Irak et en Syrie ne connaîtront pas de fin tant que l’Iran et l’Arabie saoudite ne seront parvenus à un modus vivendi, qui requiert la médiation des États-Unis. Si l’on permet au Moyen-Orient de poursuivre sa dérive, hors de tout leadership américain, une intervention militaire – plus probablement tôt que tard – est presque certaine. L’Arabie saoudite et l’Iran trouveront peut-être un jour la voie d’un partage du Moyen-Orient, mais seulement si les États-Unis sont là pour leur servir d’arbitre.

Traduction François Boisivon Bernard Haykel est professeur d’études moyen-orientales à l’université de Princeton et il a codirigé, avec Thomas Hegghammer le récent ouvrage Saudi Arabia in Transition.

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