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Stopper la fuite des capitaux hors d’Afrique

DAKAR – Beaucoup considèrent l’Afrique comme un bénéficiaire net du système financier mondial, comme un continent vers lequel aides et investissements afflueraient abondamment en provenance de plus riches régions du monde. Ce n’est tout simplement pas vrai. L’Afrique est en réalité asséchée par une fuite illicite de capitaux – qui aurait coûté au continent près de mille milliards de dollars sur les 50 dernières années, selon un groupe d’experts de haut niveau dirigé par l’ancien président sud-africain Thabo Mbeki. Ainsi, les sommes d’argent effusent en réalité hors d’Afrique dans une plus grande mesure qu’elles y pénètrent.

Et cette effusion ne va qu’en s’aggravant. D’après Global Financial Integrity, groupe d’expertise-conseil et de recherche basé à Washington DC, les fuites illicites de capitaux hors de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) auraient augmenté chaque année de 23 % au cours de la première décennie de ce siècle, pour un total de 11 milliards $ en 2011. GFI estime que si rien n’est fait pour changer les choses, la région perdra chaque année 14 milliards $ d’ici 2018. Si l’Afrique entend pouvoir financer ses priorités de développement, et répondre aux Objectifs de développement durable, elle ne pourra rester passive face à cette situation.

Les canaux de fuite sont en effet très nombreux. Le caractère abusif des prix de transfert – via lesquels des entités juridiquement reliées procèdent à une manipulation du tarif des biens et services – représente environ 60 % des fuites illicites de capitaux hors du continent, selon la Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique. Un récent rapport, publié par Dalberg Global Development Advisors et l’Open Society Initiative for West Africa, estime que sur la période 2012 à 2018, les gouvernements de la CEDEAO auraient pu collecter pas moins de 56 milliards $ de recettes fiscales, s’ils avaient mis en place des systèmes de prix de transfert efficaces.

Un rapport de 2010, rendu par la Banque africaine de développement, a lui aussi désigné l’abus des prix de transfert et l’excès des incitations fiscales comme la principale source du problème. D’autres domaines nécessitent également que des brèches soient colmatées notamment en matière de blanchiment d’argent et autres fruits d’activités criminelles, de dissimulation de fortunes au sein de paradis fiscaux offshore, d’évasion fiscale, ou encore de fraude aux droits de douanes.

Bien que certains puissent s’inscrire en désaccord et ergoter sur les chiffres, il existe un consensus généralisé selon lequel les fuites illicites de capitaux hors d’Afrique excèdent considérablement les flux entrants d’aides et d’investissements en termes de volume. La résolution de ce problème exigera une réponse cohérente et harmonisée. Étant donné les faibles capacités nationales et régionales des autorités fiscales du continent, la nécessité réside dans la création d’un organe consultatif autour des prix de transfert, susceptible de faire se réunir les administrateurs fiscaux, les conseillers en comptabilité et fiscalité, ainsi que les multinationales, et de faire office de plateforme de consultation et de partage des expériences.

En Afrique de l’ouest, le Ghana et le Nigeria sont les seuls États à appliquer des politiques spécifiques en matière de prix de transfert – mises en place afin de contrôler les flux de capitaux émanant du secteur pétrolier, qui selon certaines estimations représenterait 30 % de la manipulation des prix de transfert en Afrique. En revanche, dans la majeure partie du continent, les disparités en matière de règles régissant les prix de transfert au sein de marchés régionaux communs offrent un certain nombre de vides juridiques que peuvent exploiter les entreprises étrangères. L’heure est venue de combler ces vides.

Le fait que les incitations fiscales échappent à tout contrôle contribue également au problème. De nombreux gouvernements africains, s’efforçant désespérément d’attirer des investissements directs étrangers, se lancent dans une course aveugle afin de proposer les mécanismes d’incitation fiscale les plus généreux. Ces incitations sont bien souvent mises en œuvre sans contrôle parlementaire, sans examen public, ou encore sans aucune analyse coûts-avantages – sans parler du manque voire de l’absence d’analyse de l’impact de ces mécanismes sur l’économie.

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On peut s’interroger sur l’efficacité de telles politiques. En 2008, le FMI a formulé une mise en garde, expliquant que « les coûts (des concessions) [étaient] extrêmement importants, pour des bénéfices semble-t-il tout au plus marginaux. » Les gouvernements vont devoir apprendre à élaborer des politiques qui servent plus efficacement l’économie de leur pays.

Il est également nécessaire que la société civile joue son rôle, via une campagne unifiée destinée à attirer l’attention des gouvernements sur cette question. Plusieurs mouvements populaires s’élèvent d’ores et déjà, qui consistent à s’opposer aux politiques à courte vue des gouvernements. Il est nécessaire que cette voix populaire se joigne à l’effort consistant à faire en sorte que les flux de financement concernés soient stoppés, recouvrés, et investis dans des secteurs voués à favoriser un développement inclusif et équitable. Cette question est bien trop importante pour n’être confiée qu’aux gouvernements et dirigeants politiques.

Tant que ces fuites financières continueront de siphonner les économies africaines, le continent sera confronté à des défis tels que le chômage des jeunes, et n’aura qu’une capacité limitée à investir dans des domaines comme la santé et l’agriculture. Dans son Agenda 2063, l’Union africaine a souligné la nécessité de mobiliser les ressources domestiques en direction d’un développement durable et inclusif. Une première démarche idéale dans cette direction consisterait à faire en sorte que les flux financiers illicites cessent de vider les caisses des États africains.

Traduit de l’anglais par Martin Morel

Abdul Tejan-Cole est directeur exécutif de l’Open Society Initiative for West Africa (OSIWA).

Copyright: Project Syndicate, 2015.
www.project-syndicate.org

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