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Vandalisme culturel aux États-Unis

STONY BROOK – Chaque fois que j’apprends que des trésors archéologiques ont été passé au bulldozer ou des statues antiques réduites en miettes par des combattants de l’État islamique, je pense à l’offensive menée contre la démarche scientifique par des politiciens américains.

 

Notre infrastructure scientifique – le principal moyen par lequel nous comprenons le monde, identifions et prévenons les menaces, et cherchons à concrétiser un avenir meilleur – est en butte aux attaques de législateurs pour lesquelles la science est un obstacle à leurs visées politiques et doit donc être éliminée.

Cette comparaison peut sembler excessive. Interférer avec des idées, diront certains, ne peut se mettre en parallèle avec la destruction de chefs-d’œuvre et des responsables élus qui prennent des libertés avec la législation ne peuvent se comparer aux djihadistes dont les autres passe-temps sont les amputations et la décapitation de civils innocents. Quiconque se lance dans ce genre de comparaisons risque de passer pour une nouvelle victime de la rhétorique politique irrationnelle qui s’est emparée de la campagne électorale présidentielle aux États-Unis.

Mais examinons les faits suivants : En 2010, le groupe d’experts scientifiques de la Commission des ressources côtières de la Caroline du Nord a déterminé, au moyen de méthodes de pointe, qu’une élévation probable du niveau de la mer au cours du siècle prochain menacerait certaines communautés des zones côtières. Les législateurs de l’État ont réagi en adoptant un projet de loi qui interdit aux décideurs politiques d’utiliser les conclusions du groupe d’experts, sapant ainsi la capacité des autorités à remplir leur devoir fondamental de protection du littoral, des ressources et des citoyens.

Au niveau national, la Chambre des Représentants des États-Unis a récemment adopté la nouvelle loi d’engagement COMPETES de 2015 qui interdirait l’utilisation de recherches financées par le Département américain de l’Énergie dans l’élaboration de politiques.

Le texte à ce sujet, qui apparaît dans une section ayant trait aux ressources énergétiques, semble avoir été inséré pour protéger les intérêts de l’industrie gazière et pétrolière des conclusions de certaines études sur les répercussions de leurs activités sur le changement climatique. Mais si la loi est approuvée par le Sénat et ratifiée par le président, ses implications iraient bien au-delà du changement climatique et empêcheraient les autorités d’utiliser toutes les recherches financées par le département de l’Énergie, et donc par les contribuables, pour protéger les citoyens américains.

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Dans l’intervalle, Lamar Smith, un républicain du Texas qui a défendu la nouvelle loi d’engagement COMPETES, poursuit son objectif qui est, depuis deux ans, d’utiliser la Commission des sciences et des technologies de la Chambre des représentants, qu’il préside, pour modifier les processus d’examen par les pairs et d’octroi de subventions de la Fondation nationale pour les sciences, les exposant de fait à un examen par le Congrès.

Il ne s’agit pas ici de politiciens qui contestent si ou comment répondre à des menaces comme la hausse du niveau de la mer ou le changement climatique ; ce serait alors des questions politiques et des sujets de discussions appropriés dans un système démocratique. Il est davantage question de politiciens qui bloquent volontairement des informations fondamentales concernant des menaces graves, pour des raisons entièrement partisanes, quand elles ne sont pas personnelles. Ils ont décidé que l’action politique devait être uniquement basée sur ce qu’ils ont choisi de croire, plutôt que sur des preuves empiriques obtenues par un processus scientifique.

C’est là qu’intervient le lien entre ces politiciens américains et l’État islamique : les deux procèdent à des destructions culturelles motivées par des raisons idéologiques. La différence est que les politiciens n’avoueront pas leurs préjugés idéologiques. Ils justifient au contraire leur point de vue en suscitant une méfiance envers les infrastructures scientifiques responsables des conclusions qui leur déplaisent et en avançant des arguments peu convaincants sur « l’incertitude scientifique ». Cette démarche n’est pas seulement hypocrite ; elle empêche également un débat constructif sur les questions importantes et, pire, remet en cause les processus et les institutions scientifiques dont dépend la civilisation contemporaine.

Pour le dire autrement, imaginons que votre idée intuitive du voyage vous oblige à entamer un long trajet en voiture sans matériel de base, comme un cric et un démonte-pneu ou sans cartes routières ou système de géolocalisation. Avant de vous mettre en route, vous effacez de votre portable toutes les informations relatives aux services d’assistance routière en raison de la croyance sans fondement que ces prestataires sont tous malhonnêtes et intéressés. Enfin, vous embarquez plusieurs compagnons de voyage sans leur dire à quel point vous êtes mal équipé.

Selon le droit américain, ce genre de comportement équivaut à une mise en danger de la vie d’autrui ou à une négligence coupable. Et pourtant, ces politiciens embarquent précisément les citoyens dans ce genre d’aventure – sans rencontrer grande opposition.

Les arguments fondés sur des faits, tels ceux décrits dans un récent éditorial de la revue Science, devraient être suffisants pour inciter les dirigeants américains à modifier leur approche. Mais les faits rivalisent difficilement avec l’idéologie. En fait, toute opposition – même appuyée par des preuves empiriques – est considérée comme une attaque contre l’idéologie (supérieure) des politiciens, que celle-ci soit libertaire ou inspirée par un fondamentalisme religieux.

Dans ce contexte, des comparaisons choquantes – et potentiellement incendiaires – comme avec l’État islamique, semblent être le seul espoir d’exposer l’ampleur des dégâts causés par ces politiciens. Il faudrait peut-être suggérer qu’à l’occasion du prochain débat entre candidats à la présidence, les participants soient invités à faire la distinction – d’un point de vue éthique – entre les politiciens qui dénigrent la démarche scientifique et les combattants de l’État islamique qui détruisent des objets antiques. Cela devrait permettre de faire progresser le débat.

Traduit de l’anglais par Julia Gallin

Robert P. Crease est professeur de philosophie à l’université Stony Brook et co-rédacteur en chef de Physics in Perspective.

Copyright: Project Syndicate, 2015.
www.project-syndicate.org

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