[bsa_pro_ad_space id=1]

Commentary

L’Amérique va-t-elle rejouer le scénario de septembre 2008 ?

WASHINGTON – La semaine dernière, non sans fanfare, le Département américain du Trésor a publié un rapport sur l’attitude à adopter à l’égard de l’Autorité de liquidation ordonnée (OLA, Orderly Liquidation Authority), un processus de la liquidation des établissements de crédit. C’est pour éviter de répéter le scénario de septembre 2008 (lorsque la faillite d’une firme, Lehman Brothers, a déclenché une succession d’évènements qui ont failli détruire le système financier), que ce processus a été créée dans le cadre de la loi Dodd-Frank adoptée en 2010.


Il autorise sous des conditions appropriées l’Agence fédérale de garantie des dépôts bancaires (FDIC, Federal Deposit Insurance Corporation) à prendre le contrôle des institutions financières en difficulté pour organiser leur faillite de manière ordonnée. Cela ressemble à ce qui se passe assez souvent lorsqu’une petite banque devient insolvable. Bien que le rapport du Trésor tienne davantage d’un document politique que d’une évaluation technique réfléchie, sa conclusion est raisonnable : il faut conserver l’Autorité de liquidation ordonnée. Malheureusement, ce rapport masque un objectif législatif et réglementaire qui exposerait le système financier à d’énormes risques supplémentaires parfaitement inutiles.

Depuis quelques années, l’Autorité de liquidation ordonnée jouit d’un fort soutien bipartisan, notamment en ce qui concerne le Comité consultatif sur la résolution systémique (SRAC, Systemic Resolution Advisory Committee) dont je fais partie. Mais certains membres très influents du parti républicain au sein de la Commission des services financiers de la Chambre des représentants n’ont cesse d’attaquer l’Autorité de liquidation en disant qu’elle constitue potentiellement un plan de sauvetage sur fonds publics. Ils veulent l’abolir, de manière à ce que les institutions financières en difficulté fassent simplement l’objet d’un processus de faillite supervisé par les tribunaux.

Lehman Brothers a certes fait faillite – et ce sont les conséquences de cette faillite qui ont conduit à la crise de septembre 2008 et à ce qui a suivi. A la Chambre des représentants, s’appuyant sur les travaux d’universitaires de l’Institution Hoover, les républicains proposent de modifier la législation sur les faillites en créant ce qu’ils appellent un “Chapitre 14”, de manière à autoriser les grosses firmes financières à faire faillite sans que cela ne présente un risque systémique.

Le gouvernement de Trump ne semble pas disposé à soutenir cette position. Le Trésor reconnaît, même si c’est seulement implicite, qu’aucun tribunal ne peut traiter des passifs complexes et liés entre eux de JPMorgan Chase, du Citigroup, de Goldman Sachs ou de toute autre société de portefeuille bancaire dont le bilan dépasse 500 milliards de dollars. Ainsi la banque Lehman Brothers était-elle endettée à hauteur de plus de 600 milliards de dollars quand elle a fait faillite.

Le rapport du Trésor insiste sur l’idée que le processus de faillite doit être la première solution envisagée lorsqu’une grande banque est en difficulté. Or c’est exactement ce que prévoit la loi Dodd-Frank – et ce sur quoi travaillent la FDIC et d’autres organismes régulateurs. Il faut souligner que toutes les réunions du SRAC sont publiques et diffusées en ligne, et que Paul Volcker, Sheila Bair et d’autres experts ont examiné à de multiples reprises les détails de la mise en œuvre de l’Autorité de liquidation ordonnée.

Le rapport du Trésor esquisse un nouveau Chapitre 14, mais cela ne sera guère utile. Le principal problème dans la stratégie à l’égard des faillites est le manque de financement du “débiteur en possession” [entreprise qui a déposé une requête en faillite, mais reste en possession de ses biens] dans le cas d’une institution financière complexe d’envergure mondiale avec un énorme bilan ; sans possibilité d’un financement opérationnel par le secteur privé, tout le processus s’effondre – exactement ce qui s’est passé avec Lehman Brothers.

Deuxième problème de cette stratégie : pour des raisons juridiques et procédurales qui leurs sont propres, les régulateurs internationaux ne pourront pas coopérer avec un processus américain qui affecte une partie importante de leur économie. Les dirigeants de la Banque d’Angleterre par exemple ont été extrêmement clairs à ce sujet – en particulier lors d’une rencontre publique du SRAC.

[bsa_pro_ad_space id=1]

Le rapport du Trésor n’élude pas ces questions, mais n’y répond pas véritablement. La proposition d’un Chapitre 14 ressemble à un hamburger quasiment sans viande. Il est pour le moins improbable que la Commission juridique du Sénat (dont la responsabilité couvre la législation sur les faillites) accepte de perdre son temps là dessus.

Cependant il y a plus inquiétant, c’est ce qui se cache derrière le rapport du Trésor et dont il ne dit pas un mot : la stratégie soutenue par le gouvernement Trump visant à réduire la vigilance à l’égard des banques sur le point d’acquérir une importance systémique. La proposition de loi sur la “croissance économique, la déréglementation et la protection des consommateurs” est mal nommée. Son titre IV élèverait pour les banques le seuil d’application de normes prudentielles renforcées de 50 à 250 milliards de dollars d’actifs.

La crise de 2008 et la grave récession qui a suivi montrent qu’il est bien préférable d’empêcher les grandes banques de faire faillite que d’avoir à faire face aux conséquences de ces faillites. Ainsi que je l’ai déclaré au Congrès, le seuil de 50 milliards de dollars fixé par la loi Dodd-Frank est un seuil raisonnable pour que la Réserve fédérale porte davantage d’attention à une institution financière. Art Wilmarth de la faculté de droit de l’université George Washington a également écrit un texte convaincant sur ce point : avec un seuil de 250 milliards dollars, une faillite bancaire pourrait avoir un effet domino.

Pour être tout à fait honnête, il faut reconnaître que même dans le cadre de la législation envisagée, la Fed conserverait une marge de manoeuvre non négligeable pour empêcher les grandes banques (et les institutions de type bancaire) de créer des structures organisationnelles et financières qui pourraient conduire à l’effondrement d’autres parties du système financier, même au-delà des frontières nationales.

Mais il faut aussi reconnaître que rien n’indique que les dirigeants nommés par Trump au Conseil des gouverneurs de la Fed empêcheront les grandes banques d’agir entièrement à leur guise. De même qu’en 2008, nous risquons de constater à nos dépens le rôle crucial d’une réglementation adéquate des institutions financières d’importance systémique.

Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz

Simon Johnson est professeur à l’école de gestion Sloan du MIT et co-auteur d’un livre intitulé White House Burning: The Founding Fathers, Our National Debt, and Why It Matters to You.

par Simon Johnson

[bsa_pro_ad_space id=1] [bsa_pro_ad_space id=2] [bsa_pro_ad_space id=3] [bsa_pro_ad_space id=4] [bsa_pro_ad_space id=5] [bsa_pro_ad_space id=6]
Back to top button