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Commentary

N’oublions pas les laissés pour compte à coté de chez nous !

MADRID – L’aide internationale est basée sur le principe de Robin des Bois : prendre aux riches pour donner aux pauvres. C’est sur ce principe que les organismes de coopération, les organisations multilatérales et les ONG transfèrent chaque année plus de 135 milliards de dollars des pays riches vers les pays pauvres.

De manière formelle ce principe s’appelle le “prioritarianisme cosmopolite” [théorisé par Charles Beitz et John Rawls], une règle éthique selon laquelle nous devons considérer tout le monde de la même manière à travers la planète, quel que soit l’endroit où il se trouve, et aider là où cela apparaît le plus utile globalement. Ceux qui ont moins sont prioritaires par rapport à ceux qui ont plus. Cette principe guide implicitement ou explicitement l’aide au développement, à la santé et aux urgences humanitaires.

The global anti-establishment rebellion, seen through the eyes of Ricardo Hausmann, Theda Skocpol, Yanis Varoufakis, and other Project Syndicate commentators. A première vue c’est logique. D’une part les pays pauvres ont des besoins urgents, d’autre part le prix des produits qui leur manquent est beaucoup plus bas que dans les pays riches. Le pouvoir d’achat d’une somme donnée en euro ou en dollar est multiplié par deux ou par trois s’il est dépensé dans un pays pauvre. Autrement dit, dépensée dans un pays riche, non seulement cette somme est moins rentable, mais elle bénéficie alors à ceux qui ont déjà beaucoup (au moins en comparaison des pays pauvres) et elle contribue donc moins à l’amélioration du bien-être global.

Réfléchissant à cette question et essayant de mesurer la pauvreté depuis un grand nombre d’années, le principe de prioritarianisme cosmopolite m’a paru longtemps justifié. Mais maintenant j’en suis de moins en moins sûr : les faits et l’éthique posent problème.

D’énormes avancées ont été réalisées dans la lutte contre la pauvreté, davantage grâce à la croissance économique et à la mondialisation qu’à l’aide internationale. Le nombre de personnes en dessous du seuil de pauvreté a chuté en 40 ans, passant de plus de deux milliards à un peu moins d’un milliard – un résultat remarquable, compte tenu de l’augmentation de la population mondiale et du ralentissement à long terme de la croissance, notamment depuis 2008.

Cette évolution est impressionnante et on ne peut que s’en réjouir, mais elle a un coût. Du fait de la délocalisation des usines et des emplois là où la main d’œuvre est moins chère, la mondialisation bénéficie à énormément de gens dans les pays pauvres, mais elle nuit à une partie de la population des pays riches. Cela peut sembler acceptable sur le plan éthique, les perdants des pays développés étant beaucoup plus riches et bénéficiant de meilleures conditions de vie que les gagnants des pays en développement.

Depuis longtemps je ressens un certain malaise à ce sujet, car ceux qui émettent ces appréciations ne sont pas particulièrement bien placés pour parler au nom des perdants des pays riches. Il s’agit des grands bénéficiaires de la mondialisation – et comme beaucoup d’universitaires ou de responsables de l’aide au développement, j’en fais partie. Il s’agit de ceux d’entre nous qui peuvent vendre leurs services sur des marchés plus étendus et plus florissants que ce que nos parents n’auraient jamais imaginé.

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La mondialisation n’apparaît pas sous un jour aussi favorable à ceux qui n’en récoltent pas les fruits, mais en souffrent. Aux USA l’environnement du marché du travail se caractérise souvent par sa brutalité aux échelons inférieurs, et depuis 40 ans les perdants de l’évolution économique sont les travailleurs les moins éduqués et ceux qui gagnent le moins. A quel point souffrent-ils de la mondialisation ? Leur situation est-elle meilleure que celle des travailleurs asiatiques employés dans les usines délocalisées dans lesquelles ils travaillaient auparavant ?

Elle est meilleure sans aucun doute. Mais plusieurs millions d’Américains – des Noirs, des Blancs et des Hispaniques – vivent maintenant dans des foyers dont le revenu par tête est inférieur à deux dollars par jour, le seuil que la Banque mondiale utilise pour définir la grande pauvreté en Inde ou en Afrique. Mais il est beaucoup plus difficile de vivre avec 2 dollars par jour aux USA qu’en Inde ou en Afrique.

Par ailleurs, l’égalité des chances tellement mise en avant aux USA est menacée. Les villes qui ont perdu des usines en raison de la mondialisation ont aussi perdu les revenus fiscaux correspondants et il leur est difficile de maintenir la qualité de l’enseignement dans les écoles, alors qu’il s’agit de la voie vers la réussite pour la prochaine génération. Les écoles d’élite quant à elles recrutent parmi les plus riches pour boucler leur budget, tout en courtisant les minorités pour compenser des siècles de discrimination – ce qui alimente le ressentiment parmi les Blancs des catégories laborieuses, ceux dont les enfants ne parviennent pas à trouver leur place dans ce monde si merveilleux.

L’étude que j’ai menée avec Anne Case met en évidence encore d’autres signes de souffrance. Nous avons mis en évidence une vague grandissante d’actes de désespoir parmi les Blancs non hispaniques, qu’il s’agisse de suicide, d’alcoolisme ou de surdose accidentelle de médicaments ou de drogues. Entre 2014 et 2015 le taux de mortalité a augmenté aux USA, tandis que l’espérance de vie a diminué.

On peut discuter de l’évaluation du niveau de vie qui serait peut-être sous-estimé, de l’inflation qui serait exagérée, ou encore des écoles pour savoir si elles sont vraiment si dégradées un peu partout. Quoi qu’il en soit, il est difficile d’expliquer la hausse de la mortalité. Les besoins les plus grands ne se trouvent peut-être pas de l’autre coté de la planète.

La citoyenneté s’accompagne de droits et devoirs que nous ne partageons pas avec ceux qui sont au-delà de nos frontières. Or la part “cosmopolite” du prioritarianisme ne prend pas en compte les devoirs que nous avons à l’égard de nos concitoyens.

Nous pouvons considérer ces droits et devoirs comme un contrat d’assurance réciproque : nous refusons un certain type d’inégalité pour nos concitoyens et chacun de nous a le devoir d’aider – et le droit d’attendre une aide – en cas de menace collective. Ce devoir à l’égard de ceux qui sont proches n’affecte pas notre devoir à l’égard de ceux qui souffrent ailleurs dans le monde, mais cela implique que nous ne pouvons pas en rester au niveau des besoins matériels, car nous négligerions alors un paramètre important.

Quand les citoyens ont l’impression que l’élite se préoccupe davantage de ceux qui sont à l’autre bout du monde que de ceux qui vivent tout à coté, le contrat d’assurance est rompu, nous nous divisons en factions, tandis que le ressentiment et la colère montent parmi les laissés pour compte d’une politique qui ne leur apporte plus rien. Nous pouvons ne pas être d’accord avec les mesures qu’ils proposent, mais si nous faisons fi de leurs revendications, c’est à nos risques et périls, et aux leurs.

Par Angus Deaton

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