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Commentary

La Société civile contre le terrorisme

PARIS – Après les attentats terroristes de Paris en novembre dernier – une série d’attaques soigneusement coordonnées, lancées par des agresseurs multiples, qui firent 130 morts – il y eut beaucoup de souffrance et de peur, mais un esprit d’unité et de résistance parvint aussi à se manifester. Depuis le massacre de Nice, le 14-Juillet – où un seul agresseur, ayant reçu l’aide de cinq hommes qui semblent plus répondre au qualificatif de malfaiteurs que d’islamistes radicaux, a lancé son camion dans la foule, tuant 84 personnes, dont de nombreux enfants – les sentiments dominants semblent en revanche l’impuissance et la colère.

Les Français sont aujourd’hui mécontents et inquiets. Ils sont accoutumés à un minimum de sécurité dans leurs villes, qui depuis longtemps sont plutôt des bastions du savoir et de l’art que des lieux de terreur perpétuelle. Ils veulent à nouveau se sentir en sécurité – quoi qu’il en coûte. Ces sentiments sont parfaitement compréhensibles, mais ne favorisent pas nécessairement la prise de décisions efficaces.

« Quoi qu’il en coûte » : le problème est là. Si les gens ont l’impression que leurs dirigeants ne parviennent pas à les protéger, ils peuvent réclamer des solutions plus radicales ; déjà, des partis politiques populistes, voire ouvertement racistes, recueillent une large adhésion en France et ailleurs. Encouragés par ces forces montantes, certains pourraient même décider de se faire justice eux-mêmes.

Les autorités ont pourtant suffisamment à faire. Car tenter de protéger une population des attentats terroristes tout en maintenant l’état de droit n’est pas une tâche facile. Certains individus, souffrant par exemple de troubles mentaux ou fascinés par la violence, peuvent se radicaliser rapidement, comme en témoigne l’agresseur de Nice. Ils peuvent n’avoir commis aucun délit, ni n’avoir établi aucun lien réel avec des groupes terroristes, avant de commettre un attentat meurtrier. Raison pour laquelle les autorités françaises ne sont pas en mesure de garantir qu’elles pourront parer un nouvel attentat.

Cela ne signifie pas que les institutions ne doivent pas être invitées à faire des efforts pour améliorer la prévention et perfectionner leur réponse tactique. Beaucoup peut et doit être fait pour renforcer la sécurité en France et ailleurs. Mais l’ultimatum lancé aujourd’hui implicitement par certains – si vous ne nous garantissez pas une sécurité absolue, attendez-vous à ce que nous jetions par-dessus bord l’état de droit et les principes fondamentaux d’ouverture et d’égalité – fait plus de mal que de bien.

Les Français méritent, comme n’importe quel peuple, de se sentir en sécurité lorsqu’ils marchent dans les rues, lorsqu’ils sortent dîner, lorsqu’ils vont au concert, célèbrent leur fête nationale ou vivent tout simplement leur vie. Toute la question est de retrouver ce sentiment de sécurité en un temps où le risque d’un attentat terroriste ne peut être définitivement écarté.

C’est la société civile qui détient la réponse. Les citoyens ordinaires doivent prêter plus d’attention aux signes de radicalisation et être mieux formés pour y répondre. Les gens devraient être encouragés à signaler la radicalisation éventuelle de ceux qu’ils côtoient aux autorités compétentes, que ce soient les services psychiatriques ou de police.

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Le but n’est pas de ressusciter le maccarthysme et ses accusations infondées contre des voisins ou des amis. Il s’agit de mettre en place des canaux d’information par lesquels il serait possible d’exprimer son inquiétude lorsqu’elle concerne une personne connue qui montre des penchants violents ou radicaux.

Cette mise à contribution de la société civile permettrait non seulement à la force publique d’avoir quelque chance de prévenir les attentats, mais inciterait tout un chacun à laisser aux autorités le soin de mener la politique et les opérations anti-terroristes.

Ce modèle fonctionne en Israël. Bien qu’exposés régulièrement aux attaques terroristes, les Israéliens conservent un relatif sentiment de sécurité, dû en partie aux capacités de la société civile à contribuer à sa propre sécurité. En conséquence de quoi les citoyens israéliens sont mieux disposés à laisser l’État conserver ce que Max Weber a nommé le « monopole de la violence physique légitime ».

Certes, la France n’est pas sur le point de sombrer dans le chaos, avec des milices qui s’en prendraient aux terroristes. Mais les incessantes campagnes de peur menées par les populistes, dans un contexte réellement effrayant, tragique et pénible, faussent le jugement de bien des citoyens, proie facile d’une rhétorique incendiaire. Sans compter que l’élection présidentielle du printemps prochain incite certains responsables politiques, préoccupés avant tout de leur propre intérêt, à instrumentaliser les victimes de Nice dans leur stratégie électorale.

Cela ne doit pas être toléré. Si la France finit par succomber à la peur en élisant des populistes intolérants et racistes, les combattants de l’État islamique (EI) auront remporté une victoire inespérée – qui pourrait marquer pour eux le renversement d’un sort jusqu’ici contraire.

Ne nous trompons pas : malgré ce qu’en disent les populistes, l’EI est en train de perdre la bataille. Son territoire se réduit, et avec lui s’efface le rêve d’un nouveau califat s’étendant sur le monde arabe. Mais l’EI, dans un ultime effort pour se sauver, dispose d’une arme stratégique : le recrutement rapide. Cette dernière tentative recevrait un soutien précieux d’une intensification de la rhétorique anti-musulmane, ou pire, d’une victoire électorale de ceux qui transformeraient cette rhétorique en politique nationale.

Déjà, les recruteurs de l’EI remportent des succès, quand bien même le groupe perd le contrôle de villes et de provinces en Syrie et en Irak. D’Orlando à Istanbul et à Dacca, l’EI n’est pas en peine de trouver des partisans avides de tuer en son nom. Deux kamikazes affilié à l’EI ont tout récemment déclenché leur ceinture d’explosifs lors d’une manifestation pacifique à Kaboul, tuant 80 personnes et en blessant plus de 200.

Mais aussi longtemps que l’« ennemi » occidental demeure uni et tient ferme sur ses principes, l’EI ne peut sortir vainqueur du combat. Pour la France comme pour les autres pays, l’action collective, au dedans comme au dehors les frontières de chacun, est la clé du succès. Elle réclame non seulement que soient améliorés les liens entre les agences responsables de la sécurité intérieure et extérieure, mais que la société civile prenne conscience des risques, comme a su le faire la société israélienne. Si l’on ajoute à cela les frappes continues contre les sanctuaires de l’EI, le rêve du califat aura bientôt vécu.

Il est suffisamment déplorable que les terroristes veuillent prendre nos vies ; il n’est aucun besoin de laisser les populistes voler nos âmes. Pour reprendre le contrôle de nos vies et de nos destinées, nous devons nous montrer réalistes. Plutôt que d’exiger un retour aux temps d’avant le terrorisme, nous devons renforcer notre vigilance – non seulement pour ce qui concerne notre sécurité, mais aussi vis-à-vis de ce qui menace nos valeur ou l’état de droit – et faire notre part pour minimiser les risques. Traduction François Boisivon

Dominique Moisi, professeur à l’Institut d’études politiques de Paris (Sciences Po) est conseiller spécial à l’Institut français des relations internationales (IFRI) et professeur invité au King’s College, à Londres.

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